Contribuant à réorganiser le groupe des ingénieurs et à redéfinir sa place dans l'espace social, la période d'entre-deux guerres mondiales occupe une place particulière dans l'évolution de celui-ci au sein du contexte français dont l'importance dans l'émergence d'une catégorie "cadre" après la seconde guerre mondiale a déjà été mise en évidence par de nombreux travaux. Adossée à l'attribution d'un rôle essentiel aux institutions de formation dans l'accès au groupe des ingénieurs, cette dynamique est le produit d'une véritable mise en tension du système de formation qui va contribuer à en redéfinir l'orientation, dans l'héritage du début de siècle. Si les dispositifs qui sont alors mis en place contribuent largement à reproduire, à cristalliser et à institutionnaliser les rapports de force au sein du groupe des ingénieurs, notamment par le biais de la création de la Commission des Titres d'Ingénieurs, cette période aboutit également à une transformation des conceptions dominantes de l'enseignement.

Ainsi, "l'organisation" du système d'enseignement technique supérieur, souhaitée par différents acteurs, dont Léon Guillet et Henry Le Chatelier, est elle en premier lieu une réorientation visant à faire des formations d'ingénieurs le vecteur de la recomposition des liens entre sciences et industries, tout autant qu'une entreprise de légitimation des principes "traditionnels" de hiérarchisation des différentes institutions d'enseignement. Ces "nouvelles" conceptions de l'enseignement vont favoriser un certain type de rapprochement avec l'industrie, qui va permettre l'imposition d'une forme de "professionnalisation" de la formation des ingénieurs se caractérisant par une volonté de réformer les cursus. Ceci sera  l'occasion de redéfinir la place des enseignements que l'on peut "génériquement" qualifier de "socio-économiques" - pour éviter de donner une préférence à l'une des définitions qui en est proposée et correspond à une qualification propre - à l'aune de la recomposition des savoirs légitimes dans la direction des affaires industrielles et plus largement dans l'élite.

Parallèlement à ces prises de position en faveur d'une intégration de savoirs "socio-économiques" dépendant des "fonctions" visées dans la division sociale du travail - et parallèlement aux transformations marginales des curricula par certaines écoles - la conception même de ces enseignements et de leur importance dans la formation des ingénieurs va se voir transformée sous l'action d'un syndicat dont l'action en faveur d'une transformation du "rôle" de l'ingénieur  contribuera à redéfinir l'ingénieur de l'après-guerre comme un "cadre": l'Union Sociale des Ingénieurs Catholiques. Après avoir mis en évidence les particularités des débats sur l'enseignement en France et les définitions des enseignements "socio-économiques" qui en émergent, cette communication s'intéressera donc à l'évolution de l'USIC et de ses conceptions ; je montrerai comment l'activité syndicale a contribué,  dans un premier temps de manière contingente, à redéfinir l'ingénieur et sa formation en s'appuyant pour cela essentiellement sur des savoirs "socio-économiques". En revenant sur cette période d'émulation intellectuelle et en l'inscrivant dans la trajectoire historique des écoles d'ingénieurs françaises, on espère pouvoir mettre en lumière ce qui semble constituer la genèse de la généralisation et de la systématisation d'une "injonction" à inclure dans le programme des enseignements "socio-économiques".