La question éthique, en ce qui concerne les ingénieurs, est relativement nouvelle. Si l'engineering ethics est champ académique constitué, particulièrement aux Etats-Unis et au Canada (Didier 2008), au point qu'il n'est plus rare de trouver dans ces pays un enseignement dédié à l'éthique de l'ingénieur, en France, seules quelques écoles ont engagé ces dernières années une action pédagogique plus ou moins structurée.

La proposition s'articulera en deux temps.

Dans le premier, extérieur au champ de l'enseignement, nous reviendrons sur les objections de fond relatives à l'opportunité de penser la question éthique en ingénierie. Seront abordées les questions liées à la neutralité de la science et de la technique, à la compétence, à la légitimité, et au pouvoir (organisationnel, institutionnel, cognitif) des ingénieurs de se saisir de cette problématique. Une revue des arguments contradictoires développés dans la littérature nous conduira alors à soutenir la thèse épistémologique (et méta-éthique) selon laquelle la réflexion sur l'éthique de l'ingénierie ne peut être rigoureusement développée qu'en engageant un explicitation des préconceptions éthiques du discours sur l'éthique. Nous appliquerons cette exigence alors à notre propre point de vue, centré sur une forme déterminée de l'éthique de la responsabilité, point de vue qui nous conduira finalement à plaider pour un renforcement de la place du traitement de l'éthique dans les cursus d'ingénierie.

Dans un deuxième temps, consacré à la pédagogie, nous nous demanderons tout d'abord si, et à quelles conditions, un enseignement engageant une réflexion éthique peut devenir performatif, c'est-à-dire favoriser l'attitude éthique chez le futur ingénieur. Après avoir exposé les diverses voies explorées dans les écoles d'ingénieur pour intégrer l'engineering ethics dans un contexte pédagogique - stratégies déployées tout au long des diverses interfaces entre l'identité de l'ingénieur, d'une part, et les conflits moraux suscités par son exercice professionnel, de l'autre - nous proposerons les principales lignes directrices d'une déclinaison pédagogique de la conception retenue de l' « éthique de la responsabilité ».

http://www.onlineethics.org/

Christelle Didier (2008), Penser l'éthique des ingénieurs

Habermas J. (1968), La science et la technique comme idéologie.

Hans Jonas (1979), Le principe de responsabilité.

Max Weber (1917, 1919), le savant et le politique